Courrier à M. Laurent Fabius évoquant les menaces qui pesaient sur le service aux Français de la circonscription consulaire d’Edimbourg

Paris, le 24 novembre 2014

Monsieur le Ministre,

Alerté par les conseillers consulaires représentant les Français vivant en Ecosse sur les menaces qui pesaient sur le service aux Français de la circonscription consulaire d’Edimbourg, je me suis rendu en Ecosse du 4 au 7 novembre 2014 afin de prendre la mesure sur place de la situation.

Avant d’évoquer ce point, je me dois, tout d’abord, de regretter que le Ministère des affaires étrangères n’ait mené aucune opération d’information vis-à-vis des parlementaires représentant les Français de l’étranger sur la question de l’évolution de notre réseau consulaire et les décisions prises par vos services. A l’exception de 13 Ambassades à format simplifié, nous n’avons été informés de rien d’autre.

Ainsi, dans la foulée du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, notre Ambassadrice au Royaume-Uni, Son Excellence Sylvie Bermann, nouvellement arrivée de Pékin à Londres, est rapidement passée à Edimbourg le 26 septembre 2014. Elle y a rendu publique une décision qui aurait été prise en juillet 2013, mais non publiée jusqu’au référendum pour ne pas peser sur celui-ci, de fermeture du service aux Français et de suppression de 6 « ETP » à Edimbourg.

Cette séquence, sur le fond comme sur la forme, est une erreur de communication. Une erreur sociale. Une erreur politique. Un contresens par rapport à la nécessaire rationalisation de votre Ministère.

L’annonce publique de suppression de postes, sans désigner exactement les personnels visés, sans préciser les délais et l’accompagnement social envisagé, est profondément choquante. J’espère que nous aurons très prochainement des précisions et des explications sur ce qui est exactement envisagé par votre Ministère pour chaque agent du poste consulaire d’Edimbourg.

Annoncer la fermeture de ce service semble en total décalage avec l’évolution de l’Ecosse depuis la victoire du « Non » au référendum. Le Premier Ministre britannique a pu dire que la question de l’indépendance était close pendant une génération mais rien n’est moins sûr. La ferveur politique n’est pas retombée. Le SNP (Parti National Ecossais) atteint aujourd’hui plus de 80 000 adhérents, soit trois fois plus qu’au moment du référendum de la mi-septembre. Les évènements en Ecosse vont largement peser sur la vie politique britannique au cours des prochaines années, et l’équilibre qui sortira des élections à Westminster en 2015 en dépendra largement. Il est probable que la question des dévolutions pèsera sur le Royaume-Uni au cours des prochaines années et aura une influence grandissante sur son comportement dans l’Union européenne. La question nationale écossaise ne peut être dissociée de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne. Un éventuel « Brexit » entrainera selon toute probabilité une réaction de la part des Ecossais, très attachés à leur appartenance à l’Union européenne. Comme me l’a confié le Premier Ministre écossais lors de cette visite : « Dites aux Français que la lutte continue ». Dans ce contexte, fermer le service aux Français -c’est-à-dire fermer le consulat aux Français- est une prise de position politique de la France sur l’avenir de l’Ecosse apparaissant comme totalement décalée par rapport à ce qui est ressenti sur le terrain.

Fermer le service aux Français dans un consulat, c’est supprimer le lien entre la représentation diplomatique et l’ensemble de la communauté française. Cette rupture du lien dans un moment où la compréhension des enjeux politiques en Ecosse est essentielle n’apparait pas adéquate.

Cette décision s’inscrit aussi en contradiction avec l’esprit de la loi sur la représentation des Français de l’étranger qui a mis l’accent sur le besoin de proximité entre les élus et les Français, ce qui conduit logiquement à vouloir aussi assurer un service aux Français de proximité. D’ailleurs, à quoi servirait un conseil consulaire sans service consulaire ? La loi établit une circonscription électorale pour les Français vivant en Ecosse et faire évoluer nos circonscriptions en dehors du cadre qui vient d’être validé par le Parlement me semble désinvolte. L’attachement des Français d’Ecosse à leur nouvelle représentation est d’ailleurs significatif, puisque la participation aux élections consulaires était sur l’Ecosse le double de celle de Londres.

S’il est probable qu’une évolution du format du consulat est envisageable pour l’adapter aux évolutions des services dématérialisés qu’offre de plus en plus l’administration consulaire et, compte-tenu de l’absence de commission des bourses scolaires en Ecosse, la question des demandes de passeports sur Edimbourg est centrale. Et il ne faut pas négliger la croissance de l’activité consulaire, dont le doublement des droits de chancellerie entre 2012 et 2014 porte témoignage.

La fermeture du service aux Français à Edimbourg conduira plus de 1300 Français à devoir aller à Londres, où le service est déjà totalement engorgé (à effectif constant, le poste d’Edimbourg est passé de 711 demandes de passeports traitées en 2010 à probablement autour de 1300 en 2014). Ce service est tellement bloqué que des Français du sud de l’Angleterre viennent en Ecosse pour renouveler leur passeport ! Aussi, avant de reporter toute charge sur Londres, une étude sur les besoins de moyens pour rendre la situation de Londres acceptable pour les usagers serait bienvenue. Par ailleurs, avec autour de 1300 demandes de passeports par an à Edimbourg et la croissance de l’activité consulaire, il y a largement de quoi justifier le maintien d’un service aux Français en particulier pour assurer les demandes de renouvellement de passeport qui constituent plus de 60 % des raisons des passages de Français au consulat.

L’indignation de la communauté française s’accroît lorsqu’elle apprend que le service aux Français sera fermé, mais que celui orienté vers les demandes de visas, dont les étudiants chinois représentent la majorité à Edimbourg, sera conservé ! Il serait pourtant possible sur cette tâche de « rendre des ETP », selon le langage administratif, en recourant à un prestataire de service travaillant directement avec le Consulat général de Londres sans dommage pour les demandeurs de visa.

Dans ce contexte, il est important, Monsieur le Ministre, que vous soyez rapidement en mesure de rassurer les Français d’Ecosse, leur représentation et les agents du consulat sur :

  1. Le principe du maintien d’un consulat général à Edimbourg,
  2. L’accompagnement social des personnes touchées par la reconfiguration du poste,
  3. L’assurance que les demandes de passeports continueront à pouvoir être faites à Edimbourg. Sur cette dernière question, je suis convaincu que la suppression de la double comparution, puis l’annonce par le Président de la République de la possibilité de faire une demande de renouvellement de passeport par Internet dans le cadre de la simplification, est susceptible de rendre une meilleure qualité de service aux Français, tout en supprimant des charges de travail aux agents consulaires. Mais ces évolutions doivent être chronologiquement cohérentes afin qu’il n’y ait aucun moment où le service n’est pas ou mal assuré.

Comme je l’ai constaté dans des villes où résident de très nombreux Français, telles qu’Auckland en Nouvelle-Zélande ou Melbourne en Australie, la valise ITINERA est inopérante compte-tenu du nombre de demandes à traiter. Pour répondre correctement à la demande dans des délais décents, il faudrait qu’elle soit là en permanence. Pourtant les Français sont souvent, dans les pays à relativement haut pouvoir d’achat, prêts à payer un prestataire assurant un service de proximité plutôt que de devoir poser un ou deux jours de congés, et de dépenser des centaines d’Euros en frais de déplacement, pour un renouvellement de passeport. Ouvrir cette possibilité pour nos services consulaire afin d’assurer une meilleure proximité serait utile.

Monsieur le Ministre, je suis convaincu que vous aurez à cœur d’assurer à l’ensemble des agents d’Edimbourg que le reformatage du consulat ne se fera pas à leurs dépens.

Enfin, il semble essentiel que vos services concentrent leurs efforts sur l’amélioration du service à Londres, et le maintien d’un service de proximité pour le renouvellement des passeports à Edimbourg. La simplification annoncée par le Président de la République pour les Français ne saurait se traduire de manière kafkaïenne à l’étranger.

En espérant que cela puisse retenir toute votre attention, et dans l’attente de votre réponse, je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, en l’assurance de ma plus haute considération.

Jean-Yves Leconte

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