Ma présence au séminaire du 20 mai dernier sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger.

Je me suis rendu au séminaire de concertation du 20 mai 2019, relatif à l’avenir de l’enseignement français à l’étranger. Une petite centaine de personnes, personnels de Direction, représentants syndicaux, parents gestionnaires et associations de parents d’élèves, l’AEFE, la Direction générale de la Mondialisation du Quai d’Orsay (DGM), le Ministère de l’Éducation nationale, la Mission laïque française, mais aussi des opérateurs privés d’établissements d’enseignement étaient ainsi réunis à la Cité internationale universitaire de Paris. Une séance d’ouverture, du travail en quatre ateliers organisés comme indiqué dans la note de la DGM (déjà publiée ici sur le blog), puis une restitution en séance plénière et un « court » débat. Chacun a pu s’exprimer et l’exercice de la journée, dans le cadre préalablement fixé, peut être considéré comme réussi. Est-ce suffisant ? Comment ceci sera-t-il finalement pris en compte dans les orientations qui seront in fine retenues ? Nous n’en savons rien !

Si je ne devais retenir qu’une seule chose de ce séminaire, ce serait l’appel du Président de la Mission laïque française à ne pas vouloir mettre en œuvre une croissance des effectifs dans la précipitation !

Les délais pour partager les documents transmis ayant été très brefs avant cette réunion, et l’absence pour l’instant de compte-rendu écrit, me conduisent à souhaiter vous faire part de mon ressenti et de quelques propositions à ce stade des réflexions, bien que les documents préparatoires au plan de développement de l’enseignement français qui furent distribués en amont du séminaire de concertation du 20 mai me rendent assez perplexe.

En effet, de ces quelques pages, il ressort que tous les efforts de l’administration semblent tendre vers la réalisation de l’objectif donné par le Président de la République en mars 2018 de recevoir deux fois plus d’élèves dans le réseau des Lycées français à l’étranger. Objectif fixé sans concertation préalable, ni état des lieux réel de la situation de l’enseignement français à l’étranger. D’ailleurs, le rapport des Inspections générales des Affaires étrangères et de l’Éducation nationale en convient bien volontiers.

Ce rapport, datant de l’été 2018, rappelle bien combien la coupe budgétaire de 2017 était malvenue… Il propose tout simplement de la compenser sur les budgets 2019 et 2020 par un « rebasage de la subvention pour charge de service public ». Or, le budget 2019 ne s’est pas engagé sur cette voie. La note de la DGM n’évoque d’ailleurs pas totalement la question de la ressource en enseignants, les difficultés de détachement et la manière d’y répondre. Il est très inquiétant de voir que le ministère des Affaires étrangères pense esquiver l’état des lieux, avant de s’engager dans le plan présidentiel de doublement des effectifs. Ce plan n’est pas mauvais en soi s’il fixe une ambition. Mais il doit s’appuyer sur une bonne connaissance de l’existant. Pour être bénéfique, il ne doit pas être un objectif à tenir à tout prix, mais agir comme le guide d’une ambition pour l’enseignement français, son message et son rôle. Il doit être conduit sans précipitation, au regard des acteurs nouveaux sans connaissance de la culture de l’enseignement français à l’étranger, qu’il se propose de mobiliser.

Il ne faut pas cacher la difficulté pour l’Etat de mettre en œuvre un plan volontariste, lorsque le réseau, pour des raisons de baisse de l’engagement financier de l’Etat, dépend de moins en moins de ses moyens. Peut-il y avoir un réel pilotage de celui-ci sans déstabilisation ? Rappelons que la Cour des Comptes indiquait dans un rapport fait à la demande du Sénat en 2016 que les parents payaient alors 1 600 millions d’euros de frais de scolarité, lorsque la subvention de l’État n’était que de 400 millions d’euros. Aujourd’hui, la croissance des effectifs conjuguée à celle des écolages devrait conduire à observer une contribution des parents autour de 2 000 millions d’euros, soit une augmentation en 3 ans des écolages payés égale à la subvention publique… Difficile dans ce contexte pour l’Etat de garder le contrôle, surtout s’il souhaite faire venir de nouveaux acteurs.

Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques pistes qui me semblaient indispensables pour certaines, ou à explorer pour d’autres, à l’occasion de cette période de réflexion.

  1. La lecture du document de la DGM pose comme principe définitivement établi l’attractivité du réseau. Celle-ci est pourtant aujourd’hui le fruit de la qualité et de la mobilisation de ses acteurs, ce qui sera profondément modifié si le doublement rapide n’est pas correctement évalué, suivi et accompagné de moyens. Pas une ligne sur l’actuelle baisse de l’attractivité de l’enseignement supérieur français pour les étudiants du réseau, sur l’augmentation des tarifs d’inscription dans les universités pour les étrangers et ses conséquences…. Tout cela, pourtant, pèsera et constitue déjà peut-être le signe avant-coureur d’une désaffection.

Il n’est pas possible de vouloir doubler les effectifs sans avoir une stratégie exigeante et indépendante du suivi de la qualité, d’engagement de moyens spécifiques pour faire vivre et développer cette attractivité, et d’une évolution du nombre de titulaires parallèle à l’augmentation des effectifs (et pas +10% de titulaires pour +100% d’élèves…)

  • Une stratégie de soutien à l’attractivité de l’enseignement français à l’étranger doit être établie ;
  • L’Éducation nationale doit accompagner en détachement de titulaires le réseau à concurrence proportionnelle de la croissance de celui-ci ;
  • Les besoins d’enseignants de l’enseignement français à l’étranger doivent pouvoir être pris en compte dans la planification de recrutements et de formation du ministère de l’Éducation nationale ;
  • Il conviendrait de mettre en place un dispositif similaire à celui des académies et des Écoles supérieures du Professorat et de l’Éducation (ESPE) pour la planification des besoins, le recrutement, les possibilités de passage des concours, la formation continue, la mobilité… Les enseignants travaillant dans le réseau représentent une force et une condition de la qualité de celui-ci. Le réseau ne pourra durablement s’appeler « Enseignement français à l’étranger » si ses forces actives ne proviennent pas d’un creuset similaire à celui de l’Éducation nationale. La note de septembre 2018 sur la mobilité des enseignants doit être revue ;
  • L’homologation doit être réalisée par un service totalement indépendant de celui chargé du développement du réseau, afin d’éviter les homologations de complaisance ou de confort ;
  • Les bacheliers issus du réseau doivent avoir le droit de s’inscrire à l’université au tarif des Français et Européens, quelle que soit leur nationalité ;
  • La mise en place, avec le nouveau BAC, de contrôles continus, oblige à réfléchir aux outils d’évaluation et de suivi des établissements scolaires, afin de garantir la bonne cohérence de l’évaluation des élèves et l’harmonisation du BAC.
  1. L’un des acteurs majeurs du réseau est constitué par ses élèves français. Le système de bourses scolaires laisse déjà beaucoup de familles sur le carreau. Une étude par ville du nombre d’enfants français en âge d’être scolarisés par classe d’âge, et comparé aux élèves français déjà scolarisés dans le réseau, est tout à fait réalisable sur la base des fichiers consulaires. Elle serait utile pour voir où nos établissements peinent à remplir cette mission. Or, nous n’avons pas ces éléments. L’accessibilité de l’enseignement français pour les Français devrait être une priorité. Rappelons que les Journées Défense et Citoyenneté (JDC) dans les consulats permettent de constater qu’une moitié environ des jeunes français y participant ne sont pas francophones, ce qui est un problème majeur. Autre difficulté : le type d’école retenue par les familles, dès lors qu’elles ne peuvent avoir accès à l’enseignement français.
  • Un audit de la politique de bourses scolaires est indispensable pour mesurer son effectivité actuelle, la pertinence du calendrier (très difficile pour certaines familles de débuter une année avec un dossier ajourné, ou une quotité de bourse proposée trop faible par rapport à ses capacités financières). Il faut aussi mesurer l’impact sur l’enveloppe des bourses scolaires du futur plan de développement, car les frais de scolarité risquent d’augmenter ;
  • Une étude sur la scolarisation des jeunes Français vivant à l’étranger est un préalable à la validation d’un plan de développement ;
  • Les frais de scolarité payés à des établissements en gestion directe ou conventionnés doivent pouvoir être cause de réductions fiscales pour les familles qui paient de l’impôt en France.
  1. Une équité dans les coûts. Il existe une sorte de refus de constater le coût pour l’Etat des pensions civiles des personnels détachés directement par l’Éducation nationale auprès d’établissements privés. Pourtant celui-ci est totalement supporté par l’AEFE et les établissements en gestion directe ou conventionnés pour les personnels qui lui sont détachés. Cette différence de coût pour un titulaire détaché (entre 25 et 30 000 euros par an) est une incitation puissante au déconventionnement (ou à la mise en place de conventionnements de type « Mexico »).
  • Il conviendrait que l’ensemble des personnels détachés vers l’EFE bénéficient d’une situation identique en matière de prise en charge des pensions civiles, qu’elles soient détachées auprès de l’AEFE et mises à disposition d’un établissement, ou détachées directement auprès d’un établissement partenaire ;
  • L’AEFE doit être responsable d’un plan équitable de répartition des postes de détachement direct dans le réseau.
  1. Défendre le service public. Le nombre d’investisseurs privés est invité à augmenter à l’avenir. Toutefois, l’AEFE doit pouvoir aussi développer son réseau d’établissements en gestion directe. Les investisseurs privés ne doivent pas être considérés comme les indispensables outils de la mise en place des orientations de l’Élysée, mais comme des partenaires utiles dès lors qu’ils acceptent un cadre fixé avec une déontologie stricte. Les méthodes anticoncurrentielles de certains investisseurs, pourtant aidés par les services culturels de certaines ambassades ne peuvent être tolérées.
  • Une réflexion sur un cadre déontologique strict pour les personnels de l’AEFE et de la DGM doit être mis en place par une commission indépendante ;
  • L’AEFE ne doit pas s’imposer de plafond d’emplois pour les personnels de recrutement local dans les établissements en gestion directe. D’une manière plus générale, les EGD doivent disposer du moyen d’être plus agiles et libres dans leur développement.
  1. La pérennisation d’un système de garantie de l’état pour accompagner la construction d’établissements scolaires disposant d’un statut non lucratif est indispensable.
  • Le système qui fonctionnait jusqu’à septembre 2018 avec l’ANEFE doit pouvoir être reconduit dans ses grands principes.
  1. Pérenniser le rôle des parents, accepter la cogestion. La gestion parentale classique est une alternative à la gestion directe qui permet de disposer d’une gouvernance tournée vers le service de l’intérêt général. Toutefois, avec un engagement financier moindre de l’État, des sujets de responsabilité qui se multiplient et un environnement concurrentiel, la gestion parentale, comme les EGD, méritent d’évoluer. La mise en place d’une réelle cogestion, entre l’État et les parents, qui est souvent la réalité mais rarement assumée dans les textes, mériterait d’être envisagée.

Pour mémoire vous pourrez retrouver ici et ici mes deux précédents articles à ce sujet qui comportent notamment les documents de travail évoqués ici.

 

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